Concurrence deÌloyale par l’utilisation d’un acronyme du langage courant : c’est possible !Cass.com., 7 septembre 2022, n° 21-14495 Faits. La socieÌteÌ Chorus, speÌcialiseÌe dans la signaleÌtique, la communication visuelle et la reÌalisation d’enseignes, a conclu, entre fin 2008 et deÌbut 2009, des contrats de licence des marques « Pano » et « Pano boutique », avec les socieÌteÌs OLPP communication, LMPS-Pub et Nicom, pour une dureÌe de sept ans, renouvelable par peÌriode d’un an par tacite reconduction. A l’occasion du renouvellement des contrats, les parties ont engageÌ des discussions, visant aÌ deÌfinir de nouvelles conditions, qui n’ont pas abouties. Un litige est neÌ sur les modaliteÌs de rupture des contrats. Par acte des 17 et 20 juin 2016, la socieÌteÌ Chorus a assigneÌ les socieÌteÌs OLPP, LMPS-Pub et Nicom devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de paiement des redevances dues jusqu’aÌ l’eÌcheÌance des contrats et de dommages et inteÌreÌts pour rupture illicite du contrat, utilisation illicite des signes du reÌseau et concurrence deÌloyale et parasitaire. Dans ce cadre, la socieÌteÌ Chorus reprochait notamment aux deÌfendeurs d’utiliser, aÌ titre d’enseigne, le sigle « PAO PubliciteÌ » de nature aÌ creÌer une confusion avec la marque « Pano », pour se placer dans son sillage, alors que les anciens licencieÌs eÌtaient tenus, de plein droit, d’abandonner les signes distinctifs du reÌseau aÌ la cessation des contrats de licence. ProbleÌme. Sur le fondement de la concurrence deÌloyale, le succeÌs de l’action deÌpend, classiquement, de la deÌmonstration de l’existence d’un risque de confusion et/ou, si des agissements parasitaires sont invoqueÌs de la volonteÌ de se placer dans le sillage de l’exploitant anteÌrieur. L’absence d’originaliteÌ ou de distinctiviteÌ des signes concerneÌs est souvent releveÌe pour rejeter l’action en concurrence deÌloyale (notamment CA Paris, 24 mai 2016, n°15/06153 pour « Optical Center » et « Optical Centre »). En reÌfeÌrence aÌ cette jurisprudence, les anciens licencieÌs ont opposeÌ que le sigle « PAO » eÌtait deÌpourvu de tout caracteÌre distinctif puisque servant simplement aÌ deÌcrire leur activiteÌ aÌ savoir « PubliciteÌ AssisteÌe par Ordinateur ». D’ailleurs, ces derniers indiquaient n’avoir pu deÌposer ce sigle, aÌ titre de marque, l’INPI consideÌrant que l’expression devait rester dans le domaine public. Dans ces conditions, aucun risque de confusion ne pouvait reÌsulter de la poursuite de leur commerce sous ce terme, certes similaire aÌ la marque du conceÌdant, mais purement descriptif ; le principe de libre concurrence impliquant, au contraire, que les anciens licencieÌs ne soient pas priveÌs du droit d’exercer une activiteÌ de « production de documents publicitaires aÌ l’aide d’un ordinateur » sous le nom geÌneÌrique usuellement utiliseÌ pour la deÌsigner. Solution. La Cour d’Appel de Bordeaux a, cependant estimeÌ, que l’usage du sigle PAO eÌtait de nature aÌ creÌer une confusion dans l’esprit du public et que cet usage eÌtait destineÌ aÌ tirer profit, sans rien deÌpenser, de la notorieÌteÌ de la marque de la socieÌteÌ Chorus. La Cour de cassation confirme cette deÌcision : « L'arreÌt retient d'abord qu'il reÌsulte du constat du 10 octobre 2017 que les socieÌteÌs OLPP et Nicom ont utiliseÌ, apreÌs l'expiration de leur contrat de concession de licence de marque, le mot « PANO » comme mot-clef dans la page d'accueil de leur site web, ce qui a eu pour conseÌquence de diriger sur leur site les utilisateurs faisant une recherche comportant le mot « PANO ». Il releÌve ensuite que les anciens concessionnaires reconnaissent dans leurs conclusions qu'ils utilisent l'enseigne « P.A.O PubliciteÌ », mais affirment que cette enseigne ne porte pas atteinte aux signes distinctifs de la socieÌteÌ Chorus et font valoir que le sigle PAO, usuellement utiliseÌ comme abreÌviation de « publication assisteÌe par ordinateur », deÌsignerait la « production de documents publicitaires aÌ l'aide d'un ordinateur ». L'arreÌt retient que, pour autant, ces trois lettres sont extreÌmement proches de la marque « PANO », que le deÌbat n'est pas de savoir si l'utilisation du sigle PAO est licite ou si le sigle constitue ou non une marque deÌposable, mais de deÌterminer si les anciens concessionnaires, par l'utilisation de ce sigle, apreÌs avoir perdu l'usage de la marque « PANO », ont tenteÌ de se placer dans le sillage de la socieÌteÌ Chorus en utilisant une enseigne d'une grande proximiteÌ avec la marque preÌceÌdente. Il retient que l'usage du sigle « PAO », qui est de nature aÌ entraiÌner la confusion dans l'esprit de la clienteÌle avec la marque « PANO » qu'ils venaient d'abandonner, outre, pour deux des anciens concessionnaires, le reÌfeÌrencement abusif du mot « PANO » dans la page d'accueil de leur site web, constituent des actes de parasitisme pour tirer profit sans effort de la notorieÌteÌ de la marque appartenant aÌ la socieÌteÌ Chorus. Il retient eÌgalement que l'imitation des eÌleÌments distinctifs de la marque eÌtait de nature aÌ creÌer la confusion dans l'esprit de la clienteÌle et que la concurrence deÌloyale est donc eÌtablie ». Analyse. Il nous semble que le risque de confusion, neÌcessaire aÌ la caracteÌrisation d’un acte de concurrence deÌloyale n’eÌtait pas clairement eÌtabli, au cas d’espeÌce, dans la mesure ouÌ le sigle utiliseÌ, s’aveÌrait, certes, similaire aÌ la marque du conceÌdant, mais deÌnueÌ de tout caracteÌre distinctif. En effet, la Publication AssisteÌe par Ordinateur (PAO) est un acronyme qui consiste, comme son nom l'indique, aÌ utiliser un ordinateur eÌquipeÌ d'un logiciel de publication speÌcial et connecteÌ aÌ une imprimante haute reÌsolution pour creÌer et produire des documents aÌ imprimer ou des formats digitaux. Dans ces conditions, l’appreÌciation des juges du fond, valideÌe par la Cour de cassation, nous semble faire peu de cas du principe de la liberteÌ du commerce et peut eÌtre jugeÌe seÌveÌre aÌ l’eÌgard des anciens licencieÌs, en ce qu’elle sanctionne ces derniers pour l’exploitation d’un sigle des plus banals. N. Lefeuvre-Roumanos |