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Concurrence déloyale par l'utilisation d'un acronyme de langage courant : c'est possible !

11/10/2022

Concurrence déloyale par l’utilisation d’un acronyme du langage courant : c’est possible !

Cass.com., 7 septembre 2022, n° 21-14495

Faits. La société Chorus, spécialisée dans la signalétique, la communication visuelle et la réalisation d’enseignes, a conclu, entre fin 2008 et début 2009, des contrats de licence des marques « Pano » et « Pano boutique », avec les sociétés OLPP communication, LMPS-Pub et Nicom, pour une durée de sept ans, renouvelable par période d’un an par tacite reconduction. A l’occasion du renouvellement des contrats, les parties ont engagé des discussions, visant à définir de nouvelles conditions, qui n’ont pas abouties. Un litige est né sur les modalités de rupture des contrats. Par acte des 17 et 20 juin 2016, la société Chorus a assigné les sociétés OLPP, LMPS-Pub et Nicom devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de paiement des redevances dues jusqu’à l’échéance des contrats et de dommages et intérêts pour rupture illicite du contrat, utilisation illicite des signes du réseau et concurrence déloyale et parasitaire. Dans ce cadre, la société Chorus reprochait notamment aux défendeurs d’utiliser, à titre d’enseigne, le sigle « PAO Publicité » de nature à créer une confusion avec la marque « Pano », pour se placer dans son sillage, alors que les anciens licenciés étaient tenus, de plein droit, d’abandonner les signes distinctifs du réseau à la cessation des contrats de licence.

Problème. Sur le fondement de la concurrence déloyale, le succès de l’action dépend, classiquement, de la démonstration de l’existence d’un risque de confusion et/ou, si des agissements parasitaires sont invoqués de la volonté de se placer dans le sillage de l’exploitant antérieur. L’absence d’originalité ou de distinctivité des signes concernés est souvent relevée pour rejeter l’action en concurrence déloyale (notamment CA Paris, 24 mai 2016, n°15/06153 pour « Optical Center » et « Optical Centre »). En référence à cette jurisprudence, les anciens licenciés ont opposé que le sigle « PAO » était dépourvu de tout caractère distinctif puisque servant simplement à décrire leur activité à savoir « Publicité Assistée par Ordinateur ». D’ailleurs, ces derniers indiquaient n’avoir pu déposer ce sigle, à titre de marque, l’INPI considérant que l’expression devait rester dans le domaine public. Dans ces conditions, aucun risque de confusion ne pouvait résulter de la poursuite de leur commerce sous ce terme, certes similaire à la marque du concédant, mais purement descriptif ; le principe de libre concurrence impliquant, au contraire, que les anciens licenciés ne soient pas privés du droit d’exercer une activité de « production de documents publicitaires à l’aide d’un ordinateur » sous le nom générique usuellement utilisé pour la désigner.

Solution. La Cour d’Appel de Bordeaux a, cependant estimé, que l’usage du sigle PAO était de nature à créer une confusion dans l’esprit du public et que cet usage était destiné à tirer profit, sans rien dépenser, de la notoriété de la marque de la société Chorus. La Cour de cassation confirme cette décision : « L'arrêt retient d'abord qu'il résulte du constat du 10 octobre 2017 que les sociétés OLPP et Nicom ont utilisé, après l'expiration de leur contrat de concession de licence de marque, le mot « PANO » comme mot-clef dans la page d'accueil de leur site web, ce qui a eu pour conséquence de diriger sur leur site les utilisateurs faisant une recherche comportant le mot « PANO ». Il relève ensuite que les anciens concessionnaires reconnaissent dans leurs conclusions qu'ils utilisent l'enseigne « P.A.O Publicité », mais affirment que cette enseigne ne porte pas atteinte aux signes distinctifs de la société Chorus et font valoir que le sigle PAO, usuellement utilisé comme abréviation de « publication assistée par ordinateur », désignerait la « production de documents publicitaires à l'aide d'un ordinateur ». L'arrêt retient que, pour autant, ces trois lettres sont extrêmement proches de la marque « PANO », que le débat n'est pas de savoir si l'utilisation du sigle PAO est licite ou si le sigle constitue ou non une marque déposable, mais de déterminer si les anciens concessionnaires, par l'utilisation de ce sigle, après avoir perdu l'usage de la marque « PANO », ont tenté de se placer dans le sillage de la société Chorus en utilisant une enseigne d'une grande proximité avec la marque précédente. Il retient que l'usage du sigle « PAO », qui est de nature à entraîner la confusion dans l'esprit de la clientèle avec la marque « PANO » qu'ils venaient d'abandonner, outre, pour deux des anciens concessionnaires, le référencement abusif du mot « PANO » dans la page d'accueil de leur site web, constituent des actes de parasitisme pour tirer profit sans effort de la notoriété de la marque appartenant à la société Chorus. Il retient également que l'imitation des éléments distinctifs de la marque était de nature à créer la confusion dans l'esprit de la clientèle et que la concurrence déloyale est donc établie ».

Analyse. Il nous semble que le risque de confusion, nécessaire à la caractérisation d’un acte de concurrence déloyale n’était pas clairement établi, au cas d’espèce, dans la mesure où le sigle utilisé, s’avérait, certes, similaire à la marque du concédant, mais dénué de tout caractère distinctif. En effet, la Publication Assistée par Ordinateur (PAO) est un acronyme qui consiste, comme son nom l'indique, à utiliser un ordinateur équipé d'un logiciel de publication spécial et connecté à une imprimante haute résolution pour créer et produire des documents à imprimer ou des formats digitaux. Dans ces conditions, l’appréciation des juges du fond, validée par la Cour de cassation, nous semble faire peu de cas du principe de la liberté du commerce et peut être jugée sévère à l’égard des anciens licenciés, en ce qu’elle sanctionne ces derniers pour l’exploitation d’un sigle des plus banals.
En réalité, il semblerait que la décision des juges ait été davantage motivée par la conviction que les anciens licenciés ont tenté de maintenir la clientèle dans l’apparence d’une appartenance commune avec le réseau qu’ils venaient de quitter, caractérisant un comportement parasitaire. L’arrêt d’appel, objet du pourvoi, relève, ainsi, que la signification de l’acronyme PAO ne se retrouve pas sur les documents commerciaux diffusés par les intimés, alors que ces derniers se sont tous « informellement » regroupés sous cette enseigne commune. Il est également souligné que les intimés ne s’expliquent pas sur les constatations objectives révélant l’utilisation du terme « Pano », comme mot-clé dans la page d’accueil de leur site internet.
Toutefois, sur ce terrain également, l’appréciation est discutable au regard notamment de la jurisprudence dominante qui considère que l’achat comme mot clé d’une marque concurrente n’est pas, en soi, condamnable et ne le devient que si l’annonce commerciale affichée à la saisie du mot clé en question, suggère l’existence d’un lien économique entre le tiers et le titulaire de la marque, ce qui n’était pas précisément démontré en l’espèce.
Il se pourrait, néanmoins, que l’absence d’originalité du sigle utilisé par les anciens licenciés ait eu un impact sur les sanctions ordonnées qui s’avèrent relativement légères. Ainsi, après avoir relevé que la présentation du préjudice allégué par la société Chorus relève « d’arguments particulièrement succincts », la Cour condamne chacun des ex-concessionnaires au paiement d’une somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts. Surtout, la Cour juge qu’il n’y a pas lieu de « condamner particulièrement les intimés à cesser sous astreinte à utiliser les signes distinctifs du réseau « Pano » sauf pour eux à tenir compte de leur condamnation pour concurrence déloyale ».

N. Lefeuvre-Roumanos